Travailler et créer

  • Coresponsables : Pascale HAAG, Bénédicte ZIMMERMANN

L’axe travailler et créer se saisit des défis que les crises sociale, climatique et écologique posent à la conception du travail, à son organisation et son rôle dans la société. Associant histoire, sociologie, anthropologie et musicologie, il met en œuvre une acception étendue du travail, refusant toute distinction a priori entre travail artiste et autres formes de travail. La spécificité des recherches qui y sont menées est de tenir ensemble trois niveaux d’analyse : celui des institutions, des organisations et des devenirs biographiques, combinaison qui constitue la marque de fabrique de l’approche du travail développée au Centre Simmel. Au-delà du franco-allemand, l’approche est résolument transnationale, intégrant des enquêtes de grande envergure en Afrique, au Chili, en Turquie et au Japon. L’atelier mensuel de recherche « Individus et collectifs au travail » fédère l’ensemble des chercheurs et chercheuses impliquées et offre un espace de discussion de leurs travaux.

Articuler soutenabilité sociale et écologique du travail

La soutenabilité sociale et la soutenabilité écologique du travail sont généralement étudiées séparément. Alors que la soutenabilité sociale est un objet classique des recherches sur le travail et l’État social, la question de sa soutenabilité écologique n’a été prise en considération que récemment. Dès lors que l’on refuse de cantonner la dimension écologique du travail aux emplois dit « verts », se révèle la nécessité d’une reconceptualisation en profondeur du travail, comme nous y invitent les approches écoféministes et écomarxistes. Quatre principales directions seront explorées. La première consiste à intégrer dans l’analyse la matérialité du travail et son empreinte écologique. La seconde à élargir le périmètre de l’étude des effets du travail, traditionnellement centrée sur les travailleurs, aux consommateurs et aux publics. La troisième à considérer tout à la fois l’encastrement local du travail et les interdépendances mondiales dont il est partie prenante. Enfin, la dernière direction consiste à repenser les frontières du travail au-delà du travail marchand rémunéré pour y inclure le travail informel, créatif, citoyen, reproductif et de subsistance. Articuler ces différentes exigences n’est pas sans créer tensions et conflits, dont nous étudierons les expressions empiriques et réfléchirons aux implications analytiques dans nos recherches.

Organisations du travail

Articuler soutenabilité sociale et écologique du travail suppose de réinventer des organisations du travail plus respectueuses des êtres humains et de la nature. Dans la lignée de certaines enquêtes déjà en cours, nous continuerons à étudier des formes alternatives d’organisation du travail, telles que les coopératives ou les entreprises se revendiquant de l’économie circulaire. À travers ces enquêtes, différentes questions seront instruites. Une approche systémique du travail qui combine considérations économiques, sociales et écologiques et qui engage les dirigeants, salariés et actionnaires à prendre en compte les intérêts de toutes les parties prenantes de la chaîne de fabrication et de consommation (consommateurs, fournisseurs, acteurs du territoire) n’amène-t-elle pas finalement à remettre en question les frontières même de l’entreprise ? Et que font ces nouvelles formes d’organisation du travail aux salariés, à leur statut, à leurs conditions de travail, de participation à la vie de l’entreprise et du territoire? Ce type d’économie et d’organisation requiert-elle une forme spécifique d’engagement ou d’agir des salariés ? Et de quelle capacité d’agir disposent-ils à cette fin ? Autant de questions qui visent à saisir et étudier les défis particuliers que soulève pour une organisation et ses parties-prenantes l’ambition de combiner engagement social et écologique. Le projet « Working futures » développé par Bénédicte Zimmermann en collaboration avec le Wissenschaftskolleg à Berlin et auquel participent d’autres membres du Centre Simmel aborde ces questions dans un contexte transnational impliquant des collègues de différentes disciplines et différents continents (https://www.wiko-berlin.de/institution/initiativen-kooperationen/working-futures).

Expériences et engagements

L’accent porte ici sur la manière dont le travail et les institutions qui l’encadrent contribuent à façonner les biographies et l’engagement individuels, et inversement. Parmi les recherches que développera le Centre Simmel dans cette veine, figure le projet Horizon Europe INVOLVE (2023-2026). Partant de l’hypothèse selon laquelle la qualité des services sociaux et l’expérience qu’en font les personnes vulnérables contribuerait à alimenter leur confiance ou leur défiance à l’égard des institutions sociales et politiques en général, l’enquête passe au crible de l’analyse plusieurs domaines d’intervention publique dont le travail. L’approche consiste à confronter les dispositifs institutionnels, le type de prestations servies, les conditions d’accès et d’implication des usagers et usagères, au fonctionnement effectif des services sociaux et l’expérience qu’en font les personnes les plus vulnérables. L’analyse porte tout particulièrement sur les effets que cette expérience peut avoir sur leur capacité, ou incapacité, à aspirer à des futurs meilleurs, et la confiance ou la défiance à l’égard des institutions politiques susceptible d’en résulter. À cette fin, nous mobilisons des outils conceptuels tels que la capacité à aspirer d’Arjun Appadurai et l’approche par les capabilités d’Amartya Sen et Martha Nussbaum. En France, l’équipe du Centre Georg-Simmel collabore plus particulièrement avec l’ONG GRDR pour étudier l’expérience des populations immigrées aux guichets des services sociaux du travail et de la santé. À cette fin, différentes méthodes qualitatives (entretiens biographiques, groupes de discussion, recherche action) sont combinées, avec l’objectif de contribuer à une meilleure compréhension du lien entre services de l’État social et fonctionnement de la démocratie, mais aussi d’identifier les conditions nécessaires pour des services publics et un travail plus intégrateurs.