Numériser

  • Coresponsables : Jean LASSÈGUE, Emmanuelle OLIVIER

L’apparition du numérique a provoqué une mutation qui semble profondément remettre en question la façon dont les institutions participent à l’élaboration des liens sociaux. En effet, le numérique met en crise les médiations traditionnelles (État, droit, marché, modes de connaissance, lieux de socialisation) et tente de les contourner au moyen de nouvelles médiations de nature exclusivement technologique. Ce faisant, l’ordre numérique qui se met progressivement en place bouscule toute la cohésion sociale en redistribuant les sources de légalité, de pouvoir, d’économie, de connaissance et de socialité. Dans cet immense chantier, le Centre Georg-Simmel investira plus particulièrement trois directions de recherche.

La première est de nature épistémologique. La source de la mutation numérique a été désormais clairement identifiée : elle provient de l’usage généralisé des langages informatiques et de l’usage nouveau qu’on y fait jouer à l’écriture. La mutation numérique actuelle est donc une mutation essentiellement sémiotique ayant rapport à l’écriture. C’est parce que ce type d’écriture modifie profondément le rapport au langage qu’elle modifie du même coup toutes les activités humaines et que la recherche en sciences sociales peut aujourd’hui s’en emparer. Certains domaines feront l’objet d’une investigation particulière compte tenu des compétences du laboratoire, en particulier la digitalisation du droit et la réflexion sur la nature interprétative du langage.

La seconde est de nature historique. La mutation numérique peut être située à trois échelles temporelles différentes. À l’échelle de la décennie tout d’abord, cette mutation a eu deux phases : la première s’est concentrée sur l’usage déterministe des règles de réécriture dans la notion de calcul tandis que la deuxième concerne un usage formaliste et statistique que l’on voit à l’œuvre dans l’usage des données massives. À l’échelle du siècle ensuite, la mutation numérique dérive directement de la tradition théorique, défendue dès le début du 20ème siècle par l’école formaliste allemande, qui distinguait déjà radicalement le sens des propositions mathématiques des marques graphiques qui portent ce sens, distinction qui a ultérieurement rendu possible l’informatique ; à l’échelle du millénaire, la mutation numérique constitue une nouvelle étape dans la très longue histoire de l’écriture et est directement tributaire de la culture alphabétique développant l’idée de combinatoire de marques graphiques.

La troisième est de nature sociologique. Une fois les constats épistémologiques et historiques effectués, il devient nécessaire d’étudier les différentes configurations du numérique qui visent à contourner les médiations traditionnelles : privatisation progressive des prérogatives de l’État-nation ; compétition des légalités entre code juridique et code informatique ; transformation de l’institution du marché par la nouvelle économie des plateformes ; transformation du statut théorique de la connaissance fondée sur des modèles causaux à une connaissance fondée sur des modèles statistiques ; socialisation par les réseaux sociaux. Tous ces points feront l’objet de recherche de la part des membres du Centre : les réflexions de part et d’autre du Rhin ne manquent pas et des contacts ont déjà été pris avec un certain nombre d’institutions allemandes.